Le Drakkar Viking
Entre le IX° et le XII° siècle, les vikings ont dominé l'Europe en grande partie grâce a des bateaux longs et étroits remplis de guerriers.
Ces bateaux sont les Drakkars, des drakkars particuliers puisque le terme « drakkar » signifie et désigne tous les bateaux dont la proue représente un dragon (en vieux nordique, drakar est le pluriel de dreki, qui signifie « dragon »). Le rôle essentiel des langskips dans les « raids maritimes » (viking, en nordique) leur assure une place prééminente dans l’histoire médiévale. Des flottes de ces navires longs et étroits attaquèrent les cotes de la Northumbrie, en Angleterre, jusqu'à l’Afrique du Nord, et les guerriers qu’ils transportaient s’installèrent dans les iles britanniques et en Normandie, faisant des vikings la puissance maritime dominante de l’Europe entre l’an 800 et l’an 1100.
Plusieurs navires et bateaux vikings avaient déjà été retrouvés avant le navire de Roskilde, langskip retrouvé a 40km à l’ouest de Copenhague en 1997. en 1751, par exemple, on en avait mis au jour dans les tumulus royaux de Gokstad et d’Oseberg, en Norvège. Toutefois, le langskip classique ne sortit de la brume des récits historiques qu’en 1935, date a laquelle les archéologues danois explorèrent le tumulus d’un chef de clan à Labdy. Seule demeurait l’empreinte d’un bateau, la coloration sombre du sol révélant la forme de sa coque. Des spirales métalliques marquaient l’arrête de la tête du dragon de proue et sept longues rangées de rivets métalliques, de chaque coté étaient restes alignes le long des bordages disparus. Le bateau de Ladby était beaucoup plus étroit que les célèbres navires norvégiens, et paraissait mal taillé pour la navigation en mer : avec ses 20.6 mètres, il mesurait à peine 3.2 mètres de largeur au milieu de la coque, et un mètre de haut entre la quille et la planche la plus haute. Les archéologues doutèrent alors e la véracité des sagas qui décrivaient des navires bien plus grands avec les mêmes proportions extrêmes.
Puis en 1935, un plongeur retrouva les planches d’un langskip dans le port d’Hebedy, qui avait jadis été un prospère marché viking, a la frontière allemande. La bateau ne fut renfloué, mais l’intérêt du public fut tel que le plongeur qui découvrit fit une émission de radio sous l’eau ; Ole Crumlin-Pedersen, alors âgé de 18 ans faisait partie des auditeurs fascinés, il décida alors de devenir archéologue et a l’âge de 22 ans, il commença une série de découverte qui convainquirent les sceptiques ; il consacra sa carrière à la conservation et à l’étude de tous les bateaux vikings mis au jour après celui de Ladby.
O.Crumlin-Pedersen s’intéressa surtout aux sites de batailles et de naufrages. Entre 1957 et 1962, il dirigea l’équipe qui dégagea deux navires de guerre et trois bateaux de commerce vikings dans le canal obstrué de Skuldelev ; au XIe siècle, les habitants danois, désespères avaient délibérément coulé ces bateaux pour former des remparts contre l’envahisseur. Le plus grand des deux navires de guerre de Skuldelev ; qui mesurait 29 mètres de long, disparut ainsi après au moins une traversée réussie de la mer du nord : il avait été fabriqué en Irlande a partir de chênes coupés vers 1060, prés de la place forte viking de Dublin. Les traces de plusieurs saisons d’activités étaient visibles sur les deux navires, preuve que ces bateaux étaient plus aptes à tenir la mer que certains ne le pensaient.
En 1979, O.Crumlin-Pedersen réalisa l’un de ses rêves de jeunesse en dirigeant les fouilles du Langskip de Hedeby. On découvrit que le bateau avait été intentionnellement incendié et utilisé comme arme offensive, lors d’une attaque de la ville, vers l’an 1000. La aussi, le bois était remarquable : les planches vieilles de 300 ans, avaient une longueur supérieure a 10 mètres et ne présentaient aucune imperfection ni aucun nœud.
Le navire de raid par excellence Les cinq navires de guerre découverts depuis 1935 sont de types différents. De petits navires de guerre comprenant jusqu'à 20 bancs de nage (le petit bateau de guerre de Skudelev et celui de Ladby) étaient entretenus par les communautés locales au service du roi, pour répondre à une éventuelle mobilisation ; celle-ci était annoncée par la circulation d’une flèche de guerre symbolique. Les navires de guerre classiques, qui comptaient jusqu'à 30 bancs de nage (celui d’Hebedy et le grand bateau de guerre de Skudelev), de superbe facture, faisaient la fierté des rois et des comptes vikings. Les très grands bateaux de plus de 30 bancs de nage (celui de Roskilde) ne sont apparus qu’au cours des guerres dynastiques, a la fin de l’ère viking.
Ces découvertes révélèrent que les charpentiers vikings, qui recherchaient le navire de raid parfait, créèrent des bateaux aux proportions et aux propriétés extrêmes. Avec leur rapport longueur sur largeur supérieur a six (le langskip d’Hedeby atteint 11.4) et leur faible tirant d’eau s’échouaient sur n’importe quelle plage et remontaient presque n’importe quel cours d’eau d’Europe. Les charpentiers vikings visaient essentiellement la vitesse. Ils réduisaient l’épaisseur des bordages a deux centimètres seulement et éliminaient tout bois superflu des membrures. Préoccupes de perfections techniques, ils ne négligeaient pas la beauté de leur lignes, particulièrement dans les courbes nobles de la proue et de la poupe.
Six mille ans d’évolution La perfection de la conception et de la réalisation du Langskip n’est pas le fruit d’un génie créatif isolé. Ces navires sont l’aboutissement de 6000 ans d’évolution technique.
Au Néolithique, les habitants des cotes danoises construisaient des pirogues : les plus anciennes dates d’environ 5000 ans avant notre ère. Utilisant des outils de silex, des hommes creusaient déjà des grumes de tilleul, bois tendre et résistant, jusqu'à obtenir une épaisseur régulière de deux centimètres. Ces pirogues « monoxyles », dont la longueur atteignait dix mètres, s’aventuraient apparemment en mer, pour la pèche a la morue, la baleine, ainsi que pour les raids. Certaines servirent de sépulture.
Puis ,3000ans environ avant notre ère, des constructeurs qui vivaient à bord de l’Åmose (une rivière du Danemark) commencèrent à creuser une rangée de trous, le long du bord supérieur de leurs pirogues. A l’aide de cordes en tendons ou en corde végétales, ils lièrent à la partie haute des flancs de la pirogue, le bord inferieur d’une planche portant les mêmes trous similaires. Ces planches augmentaient la navigabilité en augmentant le franc-bord, la distance verticale entre la ligne de flottaison et la partie supérieure de la coque. Ainsi naquit la technique de bordé à clin, caractéristique de l’Europe du Nord(Le bordé est l’ensemble des bordages, les planches longitudinales qui recouvrent la membrure du navire).La découverte de haches de Silex danoises en Norvège et en Suède montre que ces bateaux ont permis le rayonnement de leurs constructeurs.
Les navires scandinaves évoluèrent aux cours de l’âge de Bronze (de 2000 a 500 avant notre ère).Leurs extrémités se révélèrent et s’ornèrent de spirales ou de têtes d’animaux. Quelque unes de ces têtes sont souvent des serpents ou des dragons : l’art de cette époque montre des dragons qui planent au dessus des bateaux. L’équipage de ces bateaux est souvent représenté avec des casques a cornes, devenus les attributs des vikings a l’opéra et dans les dessins animés. En fait, lorsque l’ère viking arriva, ces couvres chefs étaient démodés depuis longtemps.
Les gravures sur métal de l’âge de bronze montrent des bateaux avec une proue en forme de bec. Bien que relativement rare dans la construction navale européenne, la même structure se retrouvait au début du XX° siècle dans les pirogues surélevées a bordé cousu en Sibérie, en Afrique centrale et dans le pacifique sud. Le bec était en fait la pointe extrême de la carène de la pirogue. Une branche coupé y était ajouté faisait office de Taille-mer (une pièce qui se superpose a l’avant de l’étrave), protégeant la proue fragile, a l’endroit où le bordé fermait la partie avant de la coque. Finalement le taille-mer de bois à l’âge de bronze scandinave a fusionné avec l’extrémité sculpté pour former la haute proue recourbée des bateaux vikings.
Le bec devint la particularité marquante des embarcations de guerre au début de l’âge de fer (de 500 avant notre ère a 600 de notre ère), une époque caractérisé par un refroidissement des du climat et des tensions économiques en Europe de nord. Trop haut et trop peu solide pour servir d’éperon, ce bec e a sans doute été conservé par les constructeurs parce qu’il protégeait et stabilisait la coque. Les charpentiers l’ont même jugé suffisamment important pour en mettre aux deux extrémités créant ainsi une forme symétrique.
On a retrouvé, dans un marais prés de Hjortspring au Danemark, une embarcation complète du début de l’âge de fer, avec pagaies, armes et autres équipements. Elle avait été construite aux environs de l’an 350 avant notre ère. Avec ses extrémités bifides symétriques et ses pagaies servant de gouvernail a chaque extrémité, le bateau de Hjortspring pouvait rebrousser chemin sans tourner. Cette caractéristique devait être décisive en cas de rencontre avec des ennemis dans un fjord étroit ou en cas de retraite après un raid sur une cote hostile. Pendant les 1500 ans suivant, les embarcations de guerre scandinaves conservèrent cette symétrie des extrémités du bateau de Hjortspring, même âpres que la fixation du gouvernail, du mat et des voiles eurent finalement différencié la proue de la poupe. Une telle configuration était unique : même les romains, qui laissèrent peu de commentaires sur la Scandinavie, mentionnèrent des bateaux symétriques.
Des caractéristiques du Néolithique restent visibles dans le bateau de Hjortspring : L’utilisation de tilleul pour la coque et celle des ligatures végétales pour la fixation des bordages a clin. En revanche, le fond plat de la pirogue est ici réduit à une étroite planche légèrement courbé – une étape vers la quille viking. Les extrémités élevées du bateau de Hjortspring évitaient les entrées d’eau lorsqu’il naviguait en mer agitée, tandis que la profondeur accrue de la partie centrale facilitait les manœuvres. Les constructions ultérieures conservèrent cette courbure. La quille des bateaux vikings était plus profonde de 30 cm au milieu d’un bateau qu’a ses extrémités, un raffinement architectural presque aussi subtil que la courbure des collons du Parthénon.
Les 20 guerriers qui pagayaient dans le bateau de Hjortspring étaient assis par deux sur des bancs fixés sur des membrures en tilleul, en frêne et en noisetier. L’intervalle de 90 cm séparant les bancs de nage laissait un espace confortable à chaque pagayeur. Cet espacement s’était standardisé, les Scandinaves calculaient la longueur d’un bateau en comptant les « compartiments » entre les membrures. Avec son fond étroit est ses membrures largement espacées, la coque du bateau de Hjortspring avait une souplesse remarquable ; comme dans les pirogues ancestrales, c’est la « coquille », c'est-à-dire bordé, plutôt que les membrures qui donnait sa résistance au bateau.
L’invention de la quille Vers la fin de l’âge de fer, grâce à la réunion des deux techniques, la structure du bateau de Hjortspring fut simplifiée. Selon O.Crumlin-Pedersen, l’innovation vient des pirogues monoxyles évasées, un type d’embarcation qui apparait pour la première fois dans les tombeaux de l’âge de fer, sur l’ile danois de Bornholm. Dans le monde entier les constructeur de pirogues ont êtes gênées par l’épaisseur insuffisante des troncs d’arbres pour y creuser l’espace intérieur d’une pirogue. De manière indépendante, ils ont appris à élargir une gouttière dans le tronc en pratiquant d’abord une fente sur le dessus, puis en écartant progressivement par l’action de la chaleur et par l’insertion d’écarteurs de plus en plus longs. Lorsque le tronc s’ouvrait, ses extrémités se redressent et se courbent symétriquement, esquissant la courbe gracieuse des futurs navires vikings.
Un bateau découvert a Nydam, au nord d’Hedeby, est le plus ancien exemple de croisement entre la pirogue évasé et la coque bordée a clin du bateau de Hjortspring. Construit aux environ de l’an 300 de notre ère, il comporte plusieurs innovations : les bordages, les membrures et les pièces d’extrémités étaient en chêne, des rivets de fer remplaçaient les assemblages cousus du début. L’équipage, assis de dos, propulsait le bateau au moyen de longues rames qui pivotaient contre des tolets, au sommet du bordage. Toutefois, l’innovation principale et l’utilisation de cinq larges bordages, de chaque coté, entre l’étrave et l’étambot : la structure classique du langskip était née.
Un changement encore plus révolutionnaire apparut aux environs de l’an 700, un siècle avant les premiers grands raids vikings : un bateau retrouvé a Kvalsund, dans l’ouest de la Norvège, était doté d’une quille embryonnaire. La planche de fond, âpres avoir été rétrécie est finalement devenue verticale, avec une section en forme de T. Un gouvernail fixé sur le coté dérivé d’une forme de la pagaie de gouverne des bateaux plus anciens, augmentait encore la stabilisait du bateau et limitait la dérive en prolongeant au dessous de la quille. Puis les bordages s’amincirent et se multiplièrent pour atteindre le nombre de huit sur les langskips. Les robustes scandinaves acceptaient stoïquement les fuites supplémentaires occasionnées par ces nouveaux assemblages. Une loi norvégienne considérait qu’un bateau n’était pas en état de naviguer s’il fallait l’écoper trois fois en deux jours (l’équipage avait néanmoins le droit d’assumer le risque).
La quille et le gouvernail latéral du bateau de Kvalsund annonçaient l’arrivée d’éléments qui étaient inexplicablement dans les coulisses jusqu'à l’aube de l’ère viking : le mât et la voile. Des gravures datant de l’an 700 sur des pierres tombales de l’ile de Gotland représentent des bateaux a voile, mais les plus anciens vestiges d’un mât proviennent d’un bateau royal construit seulement vers 815 et enterré a Oseberg vers 835. A cette époque, la voile avait plus de quatre millénaires d’histoire, les bateaux à voile celtes croisaient dans les mers du nord depuis Jules César. Selon l’archéologue norvégien Arne Emil Christensen, le plus grands spécialiste des navires vikings et de l’introduction de la voile, la résistance a l’utilisation de celle-ci était moins technique que culturelle : pour les vikings, les vrais hommes rament. Les anciens devaient mépriser les jeunes, trop paresseux de ramer comme eux et qui voulaient traverser la mer en se laissant porter par le vent. Cependant, les avantages de la voile prévalurent finalement.
Une longue perche de bois reliait le pont à un coin inferieur de la voile. Le déplacement de cet espar orientait la voile et permettait de mieux remonter au vent. La rame avait transporté les ancêtres immédiats des vikings jusqu'à la Russie, a l’est et jusqu’aux iles britanniques, a l’ouest, mais c’est avec la voile que les vikings envahirent l’ancien monde. Son utilisation détermina la plupart des innovations ultérieures : l’approfondissement des quilles, qui limite la dérive lors des remontées au vent, l’élargissement de la coque et le surélevèrent des bords, pour éviter l’entrée de l’eau quand le bateau gite.
Les navires vikings, descendants directs des pirogues du Néolithique, se trouvèrent rapidement entourés d’une famille de bateaux apparentés, qui utilisèrent différemment le potentiel évolutif du mât et de la voile. Les nouvelles conceptions prolifèrent comme les pinsons décrits par Darwin dans les ils Galápagos, occupant toutes les niches écologiques disponibles. Des bateaux a voile furent construit pour le commerce, l’exploration et la colonisation : par exemple, de lourds navire a cale profonde, les « knorrer », transportèrent les vikings a travers l’atlantique, jusqu’au continent américain. Utilisés aussi comme sépultures, ces divers bateaux emmenaient les vikings pour leur dernier voyage.
Tiré de"Les navires Vikings" de John Hale,de "Les Bateaux - Bibliothèque pour la Science"